Paiements électroniques et inclusion financière : défis et perspectives en Algérie
- 19 septembre 2024 / Analyses / 283 / Hejer
Paiements électroniques et inclusion financière : défis et perspectives en Algérie
PAR : Ali KAHLANE
Introduction
Depuis 2018, l'Algérie a entrepris une transformation majeure dans les secteurs du commerce électronique et de la fintech, marquant ainsi une étape décisive vers la modernisation de son économie. Soutenue par des réformes législatives et des progrès technologiques, cette dynamique vise à faciliter l’émergence de services digitaux. Cependant, malgré ces avancées, l’adoption des paiements électroniques reste encore très faible, représentant à peine 1,3 % des transactions totales[1]. Ce chiffre met en lumière les obstacles structurels et culturels qui freinent encore l’accélération de la transition numérique du pays.
Deux structures majeures se distinguent comme les moteurs de cet écosystème en pleine expansion : la GIE Monétique et la SATIM (Société d'Automatisation des Transactions Interbancaires et de Monétique). Ces entités jouent un rôle central dans la mise en œuvre des solutions de paiement électronique et constituent les fondations de l'infrastructure monétique nationale.
Législation et cadre réglementaire : un développement encore en cours
Le cadre législatif algérien a évolué avec deux lois importantes. La loi n° 18-05 du 10 mai 2018 sur le commerce électronique a marqué la première régulation du secteur, en définissant les règles pour les transactions en ligne et en protégeant les consommateurs, tout en établissant les responsabilités des commerçants.
La loi monétaire et bancaire n° 23-09 du 21 juin 2023, promet de soutenir l'essor des technologies financières en promouvant l’innovation des fintechs et accélérer l’adoption des paiements électroniques.
Dans cet environnement, les quelques fintechs existantes fonctionnent sous des régimes de tolérance ou via des partenariats avec des banques. Malgré des limites dans leur champ d'action, elles montrent le potentiel des entrepreneurs algériens à innover dans des domaines comme les paiements mobiles, les transferts d’argent et le microfinancement digital.
Obstacles à l’adoption du paiement électronique
Malgré les efforts de la SATIM et de la GIE Monétique, l'impact du paiement électronique reste limité. En 2023, les transactions se concentrent principalement sur les recharges téléphoniques et le paiement de factures (télécoms, pour le transport, assurances, Sonelgaz, SEAAL), tandis que les paiements en espèces dominent dans le commerce de détail.
La confiance des consommateurs dans la sécurité des transactions reste fragile, surtout concernant la protection des données personnelles. L'Autorité nationale de protection des données (ANPDP), récemment créée, n'a pas encore d'impact significatif pour dissiper ces craintes.
L’infrastructure des paiements électroniques reste encore insuffisante en Algérie. Bien qu’en 2023, une augmentation de 20 % ait permis de déployer plus de 58 000 terminaux de paiement électronique (TPE), leur adoption par les commerçants reste limitée. De nombreux commerçants ne les utilisent pas activement, ce qui freine l’expansion du paiement digital. Pourtant, le potentiel est immense : le marché algérien pourrait accueillir entre 500 000 et 600 000 commerçants supplémentaires, soulignant ainsi l'ampleur des opportunités inexploitées dans ce domaine.
Impact de la pandémie de la Covid-19
La pandémie de la Covid-19 a offert une fenêtre d'opportunité pour l’adoption accélérée du paiement électronique en Algérie, mettant en évidence son potentiel pour des transactions sécurisées, tout en limitant les risques sanitaires. Pendant cette période, l’usage des paiements électroniques a connu un sursaut, poussant à la fois les consommateurs et les commerçants à se tourner vers ces technologies pour réduire les risques de contamination. Cependant, une fois la crise sanitaire atténuée, cet élan s’est rapidement essoufflé.
Ce recul montre clairement que l’impulsion initiale n’a pas été maintenue et qu’un soutien plus structuré est nécessaire pour assurer la pérennité et l’expansion durable de ces pratiques dans le pays.
Croissance des paiements électroniques : Opportunités et défis
Malgré les obstacles persistants, des progrès significatifs ont été réalisés dans le domaine des paiements électroniques en Algérie. Les données de la Banque d'Algérie révèlent une augmentation de 58,9 % des transactions par carte bancaire en 2023, atteignant 46,4 millions d'opérations pour un montant total de 592,8 milliards de dinars. Parallèlement, le nombre de web-marchands homologués a enregistré une hausse impressionnante de 75,3 %, passant de 291 à 510 entre 2022 et 2023. Cette dynamique souligne le fort potentiel du commerce en ligne en Algérie.
Néanmoins, l'adoption des paiements électroniques reste encore trop concentrée sur des segments spécifiques, comme les services de facturation et les achats limités. Pour que ces avancées aient un véritable impact durable, une adoption plus large à l'échelle de toute l'économie algérienne est indispensable. La diversification des usages et l'extension à d'autres secteurs sont donc des étapes cruciales pour maximiser les bénéfices de cette transition numérique.
Le paiement mobile : Un potentiel sous-exploité
En 2023, 39 millions de transactions via le téléphone mobile ont été enregistrées, représentant un volume de 28 milliards de dinars, en grande partie grâce à des solutions comme BaridiMob. Pourtant, à peine 15 % des Algériens utilisent régulièrement ces services, un chiffre très en deçà des taux observés en Inde (55 %) ou en Afrique du Sud (50 %).
Malgré une infrastructure technologique solide, avec 91,5 % de la population connectée via smartphone et bénéficiant de la 3G/4G, cette opportunité reste largement inexploitée. Ce retard s'explique en grande partie par une méfiance culturelle persistante vis-à-vis des paiements électroniques, une fiscalité perçue comme trop contraignante pour les commerçants, et une inclusion financière encore limitée. En effet, seulement 44 % des adultes ont accès aux services bancaires, un facteur qui freine considérablement l'adoption massive des paiements mobiles dans le pays.
Diversification des moyens de paiement et inclusion financière
En Algérie, bien que 18,8 millions de personnes possèdent des cartes bancaires, leur usage se limite majoritairement à des retraits d'argent liquide plutôt qu'à des paiements électroniques, surtout en milieu urbain. Ce phénomène, loin de favoriser l'inclusion financière, entrave en réalité son développement. Dans les zones rurales, l'adoption des cartes bancaires est encore plus faible en raison d'un accès limité aux services bancaires. Beaucoup de personnes ne disposent même pas de compte bancaire, ce qui les empêche d’accéder aux services financiers numériques. Cette situation réduit considérablement l'impact des cartes bancaires sur l'inclusion financière du pays.
Pour améliorer l'accès aux services financiers, il devient impératif de diversifier les moyens de paiement en promouvant l'utilisation des portefeuilles électroniques et des paiements mobiles, qui s’avèrent plus adaptés aux besoins des populations éloignées des services bancaires classiques. L'exemple du Kenya, avec M-Pesa, démontre clairement que les paiements mobiles peuvent jouer un rôle crucial dans l'inclusion financière, en rendant ces services accessibles à une plus large frange de la population, y compris les non-bancarisés. En Algérie, des initiatives telles que BaridiMob pourraient également participer à cette démocratisation des paiements numériques, permettant ainsi à un plus grand nombre de citoyens de bénéficier de services financiers adaptés à leurs réalités.
Encourager l'usage des paiements numériques au lieu des retraits d'espèces
L’installation de distributeurs automatiques (DAB/GAB) reste essentielle pour améliorer l’accès aux liquidités, notamment dans les zones reculées. Cependant, il ne faudrait pas que cela renforce l’habitude des citoyens à retirer l’intégralité de leurs revenus pour privilégier l’argent liquide. Cela freinerait l’inclusion financière par les moyens de paiement électroniques.
Il est donc primordial d’encourager les usagers à exploiter leurs cartes bancaires directement sur les terminaux de paiement (TPE) pour régler leurs achats, au lieu de se cantonner aux retraits. Par ailleurs, la virtualisation des cartes et l’utilisation des smartphones pour les paiements offrent des alternatives plus accessibles et économiques que les TPE, dont l'importation grève les devises du pays. En adoptant ces solutions, non seulement les coûts d'importation de TPE se réduiraient, mais cela contribuerait également à moderniser le système de paiement national.
Comparaison internationale et défis à relever
Malgré une large diffusion des smartphones et une couverture 3G/4G bien implantée, l'Algérie reste en retrait par rapport à d'autres pays en ce qui concerne l'adoption des paiements mobiles et l'inclusion financière.
Le tableau ci-après propose une comparaison des indicateurs clés en matière de paiements mobiles, d'inclusion financière et d'infrastructures de paiement, mettant en lumière les écarts existants et les défis que l'Algérie doit surmonter pour accélérer sa transition numérique.
Opportunités pour les startups fintech algériennes
Le secteur des fintechs en Algérie regorge d'un potentiel de croissance considérable, avec plus de 6 000 startups actives en 2024 (et près de 8 000 enregistrées sur startups.dz à cette même date). Ces entreprises innovantes sont en mesure de contribuer significativement à l’expansion des paiements numériques et à la modernisation des services financiers dans le pays. Toutefois, l'accès au financement représente encore un défi majeur pour leur développement.
Bien que le Fonds Algérien des Startups (ASF) fournisse un soutien appréciable, les processus administratifs relativement complexes et parfois lourds liés à l'accès aux ressources financières freinent encore leur progression. Cela limite, de fait, l'ampleur de leur contribution à l'écosystème fintech algérien, malgré leur potentiel indéniable. Un environnement plus fluide et des mécanismes de soutien mieux adaptés pourraient permettre à ces startups de jouer pleinement leur rôle dans l'innovation numérique.
Benchmark international
L'Algérie accuse un retard par rapport à des pays comme l'Inde, l'Afrique du Sud et l'Égypte en matière de paiements mobiles et numériques. Pour combler cet écart, des leçons pratiques peuvent être tirées de leurs approches.
- Inde : L'Unified Payments Interface[2] (UPI) a permis à l'Inde de démocratiser les paiements électroniques avec des transactions instantanées, sécurisées et à faible coût. Ce système a été soutenu par des campagnes de sensibilisation massives et des subventions pour l'adoption des TPE. L'Algérie pourrait introduire une plateforme similaire pour unifier les paiements entre banques et fintechs, tout en lançant des incitations financières pour les commerçants adoptant ces systèmes. Des initiatives comme celle-ci permettraient de combler le fossé technologique et d'accroître l'adoption des paiements numériques à travers le pays.
- Afrique du Sud : Un cadre réglementaire flexible, combiné à des partenariats public-privé, a permis d’étendre les paiements numériques, y compris dans les zones rurales et marginalisées. Pour l'Algérie, il s'agirait de simplifier les règlements liés aux fintechs tout en encourageant le déploiement de services financiers mobiles adaptés aux besoins des zones rurales. Des solutions comme les microservices bancaires et la microfinance mobile pourraient mieux atteindre les populations éloignées et non bancarisées.
- Égypte : Le sandbox réglementaire[3] lancé par la Banque centrale égyptienne en 2019 a permis aux fintechs d’innover dans un cadre sécurisé, avec un fonds d'innovation d'un milliard de livres égyptiennes pour les soutenir. L’Algérie pourrait envisager la création d’un sandbox fintech similaire, où les entreprises locales pourraient tester de nouvelles solutions tout en garantissant leur conformité aux régulations locales. Cela favoriserait la création d'un environnement d'innovation sécurisé, accélérant ainsi la transformation numérique du secteur financier.
L'Algérie peut s'inspirer de ces exemples en adaptant les infrastructures de paiements unifiés comme en Inde, en promouvant la collaboration public-privé à l'image de l'Afrique du Sud, et en créant un sandbox fintech semblable à celui de l'Égypte pour soutenir l’innovation locale. Ces adaptations offriraient un cadre plus favorable au développement de l'écosystème numérique et financier algérien.
Recommandations pour améliorer l’adoption des paiements électroniques
Accélérer la mise en place des textes d’application de la loi monétaire de 2023 : Publier rapidement les textes d'application de la loi pour offrir un cadre juridique clair et sécurisé, stimulant ainsi l'innovation dans l’écosystème fintech et renforçant la confiance des acteurs économiques. Impliquer l’écosystème de la Fintech dans ce processus.
- Réduire les retraits d’espèces et encourager les paiements numériques : Il est nécessaire de diminuer la dépendance aux retraits massifs via les DAB. Des incitations doivent être mises en place pour inciter les consommateurs à utiliser leurs cartes bancaires ou leurs smartphones pour régler leurs achats via les TPE ou d’autres solutions numériques, afin de renforcer l'inclusion financière tout en réduisant les coûts liés à l'importation de matériel comme les TPE.
Moderniser les infrastructures de paiement et de connectivité : Investir dans la modernisation des infrastructures bancaires, notamment en augmentant le réseau de DAB, TPE, et en améliorant la connectivité mobile pour rendre les paiements numériques accessibles dans tout le pays, y compris dans les zones mal desservies.
Élaborer un cadre réglementaire complet pour la FinTech : Créer un cadre réglementaire spécifique pour encadrer les FinTech, incluant des régulations sur les licences, la protection des données et la sécurité des consommateurs. Cela permettrait de soutenir l'innovation et de favoriser la croissance du secteur.
Diversifier les solutions de paiement : Encourager l’utilisation de portefeuilles électroniques et de paiements mobiles, particulièrement dans les zones rurales. Ces solutions adaptées aux non-bancarisés faciliteraient une inclusion financière plus large, en réduisant la dépendance à l'argent liquide.
Déployer des campagnes de sensibilisation : Lancer des campagnes d’éducation en collaboration avec les fintechs, les associations et le gouvernement, pour sensibiliser à la sécurité et aux avantages des paiements numériques, et ainsi surmonter la méfiance vis-à-vis de ces technologies.
Introduire des incitations fiscales pour les commerçants : Offrir des avantages fiscaux pour inciter les commerçants à adopter les terminaux de paiement électronique (TPE) et autres solutions numériques. Ces incitations pourraient contribuer à accélérer la transition vers une économie plus digitalisée.
Intégrer l’économie informelle dans le secteur formel : Simplifier les procédures administratives et offrir des incitations pour encourager les entreprises de l'économie informelle à rejoindre le secteur formel et à adopter des systèmes de paiement numériques, améliorant ainsi la traçabilité des flux financiers.
Accorder un accès anticipé au Switch mobile pour les FinTech : Permettre aux fintechs un accès anticipé au Switch mobile en attendant la finalisation du cadre réglementaire des Prestataires de Services de Paiement (PSP), pour dynamiser l’innovation et accélérer l’intégration des paiements numériques.
Établir une sandbox à la Banque d’Algérie : Créer un bac à sable réglementaire pour permettre aux fintechs de tester leurs solutions dans un cadre sécurisé, tout en assurant leur conformité avec les régulations locales, afin de stimuler l'innovation.
Renforcer la confiance dans le système bancaire et promouvoir la littératie financière : Les banques doivent améliorer la transparence et adopter des mesures de sécurité modernes pour regagner la confiance des Algériens. Parallèlement, des campagnes d’éducation financière sont nécessaires pour mieux familiariser la population avec les outils financiers numériques et les inciter à ouvrir des comptes bancaires.
Cette stratégie globale peut renforcer l'écosystème financier et numérique en Algérie, en favorisant une adoption plus large des paiements électroniques et une inclusion financière accrue.
Conclusion : Accélérer la transition numérique et renforcer l'inclusion financière
L'Algérie se trouve à un moment clé de sa transformation numérique particulièrement dans le secteur des paiements et de l'inclusion financière. Bien que des progrès aient été réalisés, comme l'augmentation des transactions par carte bancaire et le développement de solutions telles que BaridiMob, des défis persistent, notamment l'insuffisance d'infrastructures monétiques et la faible adoption des paiements électroniques.
Le développement de l’utilisation des cartes bancaires est une étape essentielle vers une plus grande accessibilité aux services numériques. Mais, pour maximiser leur impact, il est nécessaire de diversifier les moyens de paiement en introduisant des solutions telles que les portefeuilles électroniques et les paiements mobiles, qui pourraient mieux répondre aux besoins des populations non bancarisées, notamment dans les zones reculées.
Afin de surmonter les obstacles existants, la mise en œuvre rapide des textes d'application de la loi monétaire de 2023 est primordiale pour clarifier le cadre juridique et encourager l'innovation dans le secteur des fintechs. En parallèle, des initiatives telles que des campagnes de sensibilisation, des incitations fiscales pour les commerçants adoptant les terminaux de paiement électronique, et le renforcement des infrastructures numériques joueront un rôle déterminant pour favoriser l’adoption à grande échelle des paiements électroniques.
En prenant exemple sur des réussites internationales, telles que M-Pesa au Kenya ou UPI en Inde, l'Algérie peut développer des solutions adaptées à son propre contexte. Grâce à une stratégie combinant innovation, diversification des moyens de paiement et collaboration public-privé, le pays a une réelle opportunité de moderniser son économie tout en assurant une inclusion financière plus large et équitable.
source: https://care.dz