« Notre ambition est de faire du Bénin le hub numérique de l’Afrique de l’Ouest » Aurelie Adam Soulé Zoumarou (Interview)



« Notre ambition est de faire du Bénin le hub numérique de l’Afrique de l’Ouest » Aurelie Adam Soulé Zoumarou (Interview)

« Notre ambition est de faire du Bénin le hub numérique de l’Afrique de l’Ouest » Aurelie Adam Soulé Zoumarou (Interview)

Dans un entretien exclusif accordé à l’Agence Ecofin, la ministre béninoise du Numérique et de la Digitalisation Aurelie Adam Soulé Zoumarou, revient sur les avancées du pays en matière de transformation numérique. De la modernisation de l’administration publique à la facilitation des services pour les citoyens, elle dresse un tableau exhaustif des efforts entrepris pour positionner le Bénin comme un modèle en matière de digitalisation.

Agence Ecofin : En 2016, le Bénin affichait son ambition de devenir le hub numérique de l’Afrique de l’Ouest. La vision du pays en matière de transformation numérique est-elle toujours d’actualité ?

Aurelie Adam Soulé Zoumarou : L’ambition que nous portons aujourd’hui sous l’impulsion du président Patrice Talon et avec l’engagement des acteurs du secteur reste claire : positionner le Bénin comme le hub numérique de l’Afrique de l’Ouest. Cet objectif se décline en plusieurs axes. Il s’agit non seulement de devenir une référence dans la fourniture de services digitaux, mais aussi de développer les compétences humaines nécessaires pour accompagner cette ambition.

Nous œuvrons pour une transformation numérique dynamique, capable de s’adapter aux défis futurs sans jamais rester figée. C’est une démarche globale que nous mettons en œuvre, en étroite collaboration avec le secteur public, le secteur privé et nos partenaires au développement. 

AE : Quel bilan faites-vous des changements mis en œuvre jusqu’à présent ?

AASZ : Le Bénin s’appuie sur le Programme d’Action du Gouvernement (PAG), véritable boussole stratégique pour tous les secteurs. Dans le domaine du numérique, 6 projets phares couvrent le domaine. Le bilan actuel est globalement positif, comme en témoignent les retours des populations, des entreprises et des partenaires internationaux.

Prenons l’exemple du e-visa : lorsque des partenaires étrangers visitent le Bénin, ils nous font part de leur satisfaction quant à la simplicité et à la rapidité de la procédure de demande d’e-visa. « Votre plateforme de e-visa est formidable, tout a été réglé en quelques minutes » nous disent-ils souvent. Ces témoignages d’utilisateurs constituent un indicateur précieux et concret de l’impact positif des réformes.

Plus de 1000 services publics ont été digitalisés, dont plus de 210 totalement dématérialisés avec délivrance de documents en ligne. Autrefois, les citoyens devaient se déplacer vers les administrations pour déposer leurs demandes.

Sur le plan quantitatif, les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui, plus de 1000 services publics ont été digitalisés, dont plus de 210 totalement dématérialisés avec une délivrance de documents en ligne. Autrefois, les citoyens devaient se déplacer en personne vers les administrations pour connaître les démarches, rassembler les pièces requises et déposer leurs demandes. Cela leur coûtait non seulement du temps et de l’argent, mais exposait aussi le système à des risques de fraude et de corruption. Certaines procédures qui ne devraient prendre que quelques heures pouvaient alors s’étendre sur plusieurs semaines.

Désormais, grâce à la plateforme www.service-public.bj, ces services sont accessibles en ligne, directement depuis le domicile, le bureau ou tout autre endroit. Il est possible de payer ses factures d’eau et d’électricité, d’obtenir une attestation fiscale, de demander son casier judiciaire ou encore de créer son entreprise en ligne. Chaque procédure est détaillée, avec les pièces nécessaires et des délais clairement indiqués. Cela a profondément transformé la relation entre les citoyens et l’administration, modernisant ainsi la manière dont les services publics sont rendus.

Cependant, il ne suffit pas de digitaliser l’interface utilisateur : il est essentiel que cette transformation s’opère également en interne, au sein même des services administratifs. Nous travaillons donc à accélérer la digitalisation des processus internes de l’État pour garantir une administration efficace et connectée, capable de répondre aux besoins des citoyens avec fluidité et transparence. 

AE : La digitalisation repose sur des prérequis essentiels, notamment l’accès à une connexion Internet de qualité. Quels sont les progrès réalisés sur ce segment ?

AASZ : En l’espace de 8 ans, nous avons déployé plus de 2500 km de fibre optique à travers le pays. Rapporté à la superficie du Bénin – un peu plus de 114 000 km² –, ce chiffre démontre l’ampleur des efforts entrepris pour rendre le haut et très haut débit accessibles à toutes les régions et communes.

En 8 ans, nous avons déployé plus de 2500 km de fibre optique à travers le pays (114 000 km²) et installé des points de présence dans les communes pour renforcer la couverture et améliorer la qualité de la connexion. 

Dans le même temps, nous avons installé des points de présence dans les communes pour renforcer la couverture et améliorer la qualité de la connexion. Ces initiatives ont contribué à faire passer le taux de pénétration d’Internet de 20% en 2015 à plus de 70% aujourd’hui.

Les résultats sont significatifs et témoignent des progrès accomplis, même si des défis subsistent. Ces avancées nous donnent l’élan nécessaire pour poursuivre nos efforts, avec pour ambition de connecter l’ensemble du territoire national à une infrastructure numérique performante et inclusive.

AE : Vous anticipez ma question sur l’inclusion des zones rurales. Quels efforts concrets ont été faits pour intégrer les collectivités locales dans les projets béninois d’e-government ?

AASZ :  Il est essentiel de s’assurer que les initiatives déployées au niveau central bénéficient également aux collectivités locales, car bien souvent, la digitalisation de l’administration centrale ne se répercute pas jusqu’aux communes. Au Bénin, nous avons veillé à ce que les e-services soient accessibles partout dans le pays, sans limitation géographique.

Les administrations locales, comme les mairies, ont aussi besoin d’être modernisées. À ce titre, plusieurs projets majeurs ont été lancés. Par exemple, nous avons déployé des systèmes de gestion électronique de courrier (GEC) dans plusieurs préfectures et administrations communales pour une gestion plus efficace et transparente. En 2023, ces systèmes ont permis le traitement de plus de 3400 courriers dans les préfectures et 11 000 courriers dans les mairies.

Par ailleurs, nous avons initié le projet e-commune, une plateforme numérique dédiée aux services publics communaux. L’objectif est simple : permettre aux administrés des communes d’accéder en ligne aux services proposés par leurs mairies, à l’image de ce que propose la plateforme nationale des services publics.

Pour accompagner ces efforts, nous avons également déployé des points numériques communautaires dans les communes, profitant de l’extension de la fibre optique. Ces espaces ne sont pas de simples cybercafés : ils sont conçus pour offrir un accès à Internet et aux services citoyens essentiels.

Par exemple, une personne souhaitant obtenir un acte de naissance sécurisé peut se rendre dans un point numérique communautaire. Sur place, un gestionnaire l’accompagne dans sa démarche en l’aidant à accéder au portail des services publics et à imprimer le document si nécessaire. Ces infrastructures garantissent que les populations des communes, même éloignées, profitent pleinement des services numériques et de la transformation digitale en cours au Bénin. 

AE : Créer des services numériques est une chose, mais s’assurer qu’ils soient adoptés par les citoyens en est une autre. Comment le ministère accompagne-t-il cette transition pour intégrer ces services dans les habitudes des Béninois ?

AASZ : Aujourd’hui, quasiment tous les services qu’un citoyen peut attendre de l’administration sont soit déjà digitalisés, soit en cours de digitalisation. Cela inclut par exemple la demande de carte d’identité en ligne, la création d’entreprises, le suivi des bilans financiers pour les entreprises, ou encore l’accès aux fiches de paie en ligne pour les fonctionnaires.

Mais la question fondamentale reste la suivante : les citoyens sont-ils en capacité d’utiliser ces services ? Cela renvoie à la littératie numérique, c’est-à-dire à la capacité de chacun à utiliser des outils numériques, qu’il s’agisse de téléphones ou d’ordinateurs. Pour y répondre, plusieurs solutions ont été mises en place.

Nous avons lancé le Bénin Digital Tour, un programme de renforcement des capacités pour toutes les couches de la population. De 2016 à 2022, environ 20 000 personnes, dont environ 6 000 femmes, ont été formées dans 48 communes sur les thématiques des TIC et de l’internet.

D’une part, les points numériques communautaires disséminés sur le territoire national participent à l’adoption des services publics, en offrant une assistance directe aux citoyens pour accéder aux plateformes et effectuer leurs démarches en ligne. D’autre part, pour sensibiliser et former la population, nous avons lancé le Bénin Digital Tour, un programme de renforcement des capacités pour toutes les couches de la population. De 2016 à 2022, environ 20 000 personnes, dont environ 6 000 femmes, ont été formées dans 48 communes sur les thématiques des TIC et de l’internet.

Au-delà de l’utilisation individuelle, il est essentiel que cette transformation numérique génère des compétences professionnelles locales pour accompagner le développement du secteur. C’est pourquoi nous avons créé l’École des Métiers du Numérique, qui propose des formations spécialisées. À ce jour, 8 cohortes ont été formées pour la filière « Technicien d'intervention télécom », et 1 cohorte pour la filière « Référent digital », totalisant 116 jeunes diplômés avec un taux d'insertion professionnelle de 80%.

Ces jeunes diplômés apportent une plus-value considérable au secteur du numérique. D’autres filières de formation ouvriront dans les prochains mois. Parallèlement, nos universités se positionnent sur des domaines d’avenir, en formant des spécialistes dans la data, l’intelligence artificielle et les mégadonnées. Ces compétences sont cruciales pour préparer le Bénin à intégrer des solutions innovantes dans sa transformation numérique et valoriser pleinement les données disponibles.

Notre stratégie repose donc sur 2 piliers : outiller les citoyens pour utiliser les services publics en ligne, et former les professionnels qui construiront l’avenir numérique du pays.

AE : Vous avez mentionné la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle et les mégadonnées. Quels en sont les principaux axes et comment prévoyez-vous sa mise en œuvre ?

AASZ : La stratégie du Bénin en matière d’intelligence artificielle et de valorisation des données repose sur un constat simple : la digitalisation croissante des services publics et l’extension de la connectivité dans tout le pays génèrent une quantité massive de données. Si nous ne les valorisons pas nous-mêmes, d’autres le feront à notre place, et cela est inacceptable. La maîtrise et l’exploitation de ces données sont essentielles pour le développement économique et social du pays.

La digitalisation des services publics et l’extension de la connectivité dans le pays génèrent une quantité massive de données. Si nous ne les valorisons pas nous-mêmes, d’autres le feront à notre place. La maîtrise et l’exploitation de ces données sont essentielles pour le développement du pays. 

Cette stratégie s’articule autour de 4 grands programmes. Premièrement, il s’agit de déployer des solutions technologiques capables de faire tourner des modèles d’intelligence artificielle. Cela suppose une infrastructure adaptée pour accueillir ces technologies émergentes.

Deuxièmement, nous avons réfléchi aux secteurs d’application prioritaires. L’IA doit être un outil concret pour résoudre des problèmes réels. Nous ne cherchons pas à adopter cette technologie simplement parce qu’elle est tendance. Notre objectif est d’identifier les usages pertinents dans des secteurs clés de notre économie et de notre société.

Troisièmement, nous nous concentrons sur le développement des compétences locales, un pilier fondamental pour la réussite de cette stratégie. Il est crucial de former des professionnels et des experts capables de soutenir les entreprises locales et internationales qui souhaitent opérer au Bénin. Nous collaborons avec des universités, des centres de recherche et des partenaires internationaux comme le Canada ou la Chine, afin de renforcer ces compétences. Nous voulons ainsi permettre l’émergence d’une main-d’œuvre qualifiée et favoriser la création d’entreprises locales dans le domaine de l’IA.

Quatrièmement, la collaboration est un axe central. La mise en place d’un cadre réglementaire adapté est indispensable pour créer un environnement propice au développement de l’IA. Cela passe par des évolutions juridiques et des normes qui garantissent une utilisation éthique et sécurisée des technologies d’IA.

Le Bénin se positionne en précurseur sur le continent africain, avec une vision claire et pragmatique. Nous anticipons une stratégie continentale future pour l’IA, et notre ambition est de jouer un rôle de partenaire clé dans sa conception, afin d’en assurer l’efficacité et la pertinence. Le défi ne consiste pas seulement à élaborer une stratégie, mais à s’assurer qu’elle soit adaptée aux réalités du continent et orientée vers des solutions concrètes.

Notre démarche est transparente et méthodique. En comprenant les fondements de notre réflexion, il est évident que le Bénin trace une voie ambitieuse et structurée pour l’intégration des technologies d’intelligence artificielle. 

AE : Quelles mesures le Bénin met-il en place pour garantir la sécurité des données personnelles des citoyens ?

AASZ : Depuis 2016, notre transformation numérique a été menée de concert avec des mesures strictes en matière de protection des données personnelles. Notre code du numérique aborde non seulement les enjeux liés à l’émergence de l’économie numérique et à la digitalisation, mais aussi les questions cruciales de cybersécurité.

Un exemple significatif date de 2018 où nous avons engagé un partenariat avec l’Estonie, reconnue comme un leader mondial en matière de digitalisation. Lors de nos échanges, les responsables estoniens avaient relevé un point essentiel : « Vous êtes l’un des rares pays où la transformation numérique avance au même rythme que les mesures de cybersécurité. C’est remarquable, surtout à l’échelle du continent africain ». Cet équilibre a toujours été au cœur de notre démarche.

Nous adoptons une approche « Security by design » : dès la conception de nos plateformes, la sécurité est intégrée au cœur du processus. Chaque problématique métier est systématiquement accompagnée d’une réflexion sur la sécurité et la protection des données. Pour la cybersécurité, nous nous appuyons sur l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN). Cette structure joue un rôle central, en synergie avec d’autres organismes nationaux.

En matière de protection des données, le code du numérique a également donné lieu à la création d’une Autorité de protection des données à caractère personnel. Celle-ci est pleinement opérationnelle et mène régulièrement des actions de sensibilisation, notamment auprès des populations vulnérables comme les femmes et les enfants.

Le code du numérique a également donné lieu à la création d’une Autorité de protection des données à caractère personnel. Celle-ci est pleinement opérationnelle et mène régulièrement des actions de sensibilisation.

Par ailleurs, face aux nouveaux défis liés à l’IA et aux mégadonnées, des problématiques comme l’anonymisation et l’explicabilité des résultats produits par les modèles d’intelligence artificielle ont été intégrées dans notre stratégie. L’anonymisation est cruciale pour éviter que des données personnelles soient compromises, tandis que l’explicabilité garantit que les résultats fournis par des algorithmes sont compréhensibles et transparents.

Enfin, nous mettons un point d’honneur à renforcer le cadre réglementaire, à développer les compétences humaines en cybersécurité et à sensibiliser les citoyens. La première ligne de défense, c’est chaque utilisateur. En responsabilisant nos citoyens, nous les rendons acteurs de leur propre sécurité numérique. 

Propos recueillis par Servan Ahougnon

Édité par : Feriol Bewa


source: agenceecofin.com

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