Karim Tedjani, écologiste et formateur en environnement : « Les pays du Sud doivent cesser de s’enraciner dans un modèle occidental de modernité dépassé »



Karim Tedjani, écologiste et formateur en environnement : « Les pays du Sud doivent cesser de s’enraciner dans un modèle occidental de modernité dépassé »

Karim Tedjani, écologiste et formateur en environnement : « Les pays du Sud doivent cesser de s’enraciner dans un modèle occidental de modernité dépassé »

Karim Tedjani est consultant et formateur dans le domaine de l’environnement. Il se dit, « citoyen algérien engagé personnellement et professionnellement dans le développement durable de l’Algérie » Il est le créateur, en 2010, du premier portail web dédié à l’écologie et l’environnement en Algérie, devenu une référence pour des écologues et des écologistes algériens, mais aussi à l’international. Un réseau national fut l’acte qui en a découlé, permettant à Tedjani de parcourir, durant ces dix dernières années, le pays, où rencontres et collaborations sur le terrain avec les personnes activant dans l’environnement étaient au menu. Karim Tedjani a, ainsi, participé, de près ou de loin, à de nombreuses actions, et animé conférences et formations pour la société civile algérienne. Il a, au demeurant, allié engagement personnel et activité professionnelle. Ecoutons-le nous dévoiler son avis et expertise dans l’environnement, l’écologie, le Climat et les réglementations y afférentes.


Eco Time : Depuis des années que vous êtes écolo, quels sont vos acquis et les objectifs que vous voulez atteindre dans le cadre de votre militantisme ?

Karim Tedjani : Je pense avoir tout d’abord participé à rendre plus visibles l’environnement et l’écologie sur les réseaux sociaux et les médias.

J’ai compris et donc expliqué l’écologie de notre territoire ainsi que ses enjeux environnementaux en collaborant sur le terrain avec associations, scientifiques, journalistes et politiques.

J’ai aussi donné une identité algérienne au développement durable de notre pays, à travers la « Darologie », un concept assez connu même en dehors de nos frontières.

Je continue à être un tisseur de liens au sein de la sphère écologique et environnementale algérienne ainsi qu’une source d’inspiration et de soutien pour celles et ceux activant pour un développement durable algérien.

Je milite avant tout pour une Algérie qui saurait retrouver une relation ancestrale avec l’écologie de son territoire, notamment à travers ses cultures locales, afin de prolonger cette richesse dans une identité nationale algérienne moderne capable de faire de l’environnement un pilier indissociable de son développement.

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les causes du réchauffement climatique sont principalement les gaz à effet de serre d’origine anthropique. Pourtant à l’échelle mondiale, on continue à produire à partir des énergies fossiles au profit des secteurs automobile, l’aviation, l’élevage, etc. Paradoxal, non ?

Oui, cela est effectivement très paradoxal. Mais la difficulté dans ce défi civilisationnel est de mettre au diapason des temporalités totalement différentes.

Il y a tout d’abord le temps géologique, celui de la Terre et du changement climatique, dont l’accélération exceptionnelle est difficilement perceptible à l’échelle du temps humain.

De ce fait, l’urgence n’est pas évidente à concevoir. Ce qui ne favorise ni la réactivité ni la proactivité, notamment des politiques.

D’autant que le temps du développement est lui aussi différent ; changer de système énergétique est un long et complexe processus. Le pétrole et le gaz n’ont pas fait disparaitre ni le charbon, ni la biomasse, elles se sont ajoutées.

C’est ce qui se passe pour l’instant avec les énergies renouvelables qui ne cessent malgré tout de gagner du terrain. Il y a en parallèle une phase transitoire qui passe par la valorisation du « Né-gawatt », de l’énergie qui n’est pas consommée.

Celle de l’efficacité et de l’efficience énergétiques. Puis, il y a celle de la « sobriété heureuse », c’est-à-dire d’accepter de revoir à la baisse certaines normes de confort qui ne sont pas soutenables dans un monde fini, en surface et en ressources.

Les pays du Nord doivent montrer l’exemple et les pays du Sud doivent s’inventer d’autres modèles et trajectoires de développement, au lieu de s’enraciner dans un modèle occidental de modernité à présent dépassé.

Que pensez-vous de la réglementation liée à l’environnement en Algérie ?

C’est un instrument indispensable, dès lors qu’il est supporté par une batterie de textes d’applications et des institutions capables de relever tous les défis de l’Environnement.

Ce qui n’est pas encore totalement le cas, malgré les efforts politiques et les investissements financiers indéniables, mobilisés depuis au moins le début des années 2000.

Le cadre constitutionnel du développement durable instauré dès 2016 n’a pas encore permis à notre pays de trouver son équilibre entre ses aspirations au développement économique et social et les responsabilités environnementales qu’il faut assumer pour atteindre durablement ces objectifs.

Ce qui nous manque ; à vrai dire, c’est une philosophie nationale de l’environnement, qui sera la fondation de ce développement.

Pour l’instant, dans ce domaine, nous nous contentons de copier ce qui se fait ailleurs, sans prendre suffisamment en compte les particularités géographiques de notre pays, au sens large du terme.

Cela rend de ce fait bien des lois et des mesures inadaptées à cette réalité territoriale et socioéconomique.

Le Plan national Climat Algérie, adopté en 2019 pour faire face aux changements climatiques suite à l’Accord de Paris. Que pensez-vous de la stratégie adoptée en la matière ?

Le plan Climat n’est pas à proprement parler une stratégie. La Stratégie Nationale de la lutte contre le Changement Climatique est à vrai dire en cours d’élaboration.

J’ai personnellement assisté tout récemment à la réunion du Comité national Climat (CNC) annonçant le lancement officiel de ce processus.

Le Plan Climat algérien est plutôt un grand premier pas, également une vitrine diplomatique des avancées de l’Algérie dans ce domaine, mais pas encore une véritable stratégie.

La logique veut d’ailleurs que l’on élabore une stratégie avant de se fixer un plan. Bien que l’Algérie ait été à l’avant-garde de la question climatique, notamment au regard de sa grande implication diplomatique dès les années 70 dans le régime de la lutte contre la désertification et de sa coopération internationale en matière de météorologie, notre pays ne dispose pas encore de tous les outils organisationnels, institutionnels et opérationnels pour se lancer sereinement dans ce processus.

Nous avons besoin d’un temps de recul que le régime climatique international ne nous permette pas toujours de laisser maturer.

Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’y engager pour autant et, pour cette stratégie, ce sont des compétences exclusivement algériennes qui ont été mobilisées. Ce qui permettra, je l’espère, d’aborder cette question avec un regard plus endogène.

On connait le Plan Climat pour les villes, mais on ne se focalise pas trop sur les solutions à l’échelle de l’entreprise (écoresponsabilité) et à l’échelle du citoyen (réduction de l’empreinte carbone). Votre avis là-dessus et que faut-il faire pour y remédier ?

Il est particulièrement vrai qu’en Algérie, les entreprises ne sont pas encore assez impliquées dans cette lutte contre le changement climatique.

Par exemple, aucune représentation de l’entreprenariat privé algérien n’a été conviée à rejoindre le CNC ; tandis que la société civile y est représentée par l’Observatoire national de la société civile ainsi que le Réseau national de l’environnement et du changement climatique, un consortium d’associations et d’experts nationaux que je représentais d’ailleurs à cette réunion.

Pourtant, le dynamisme croissant des startups algériennes n’est plus à vanter, dans de nombreux domaines qui permettront de mieux nous adapter et de réduire nos émissions carbones.

Je pense aussi que pour réduire notre empreinte carbone, il faudrait déjà disposer de bilans et de diagnostiques plus robustes et fiables touchant tous les secteurs d’activités.

Nous ne sommes encore arrivés à un tel stade de maturité en Algérie, notamment en matière de transparence et de diffusion de l’information au niveau intersectoriel, mais aussi à l’échelle des entreprises.

Il y a aussi l’adaptation, un chantier à ne surtout pas négliger, exigeant beaucoup d’efforts, de renforcements de capacités et de gestion des risques en amont et non plus les catastrophes en aval, comme cela a trop souvent été le cas chez nous.

La nouvelle loi dans ce domaine, ainsi que celle concernant la gestion des forêts, pourraient être décisives dans ce domaine, pour peu qu’elles soient soutenues par une politique de développement durable encore plus ancrée dans le contexte algérien, permettez-moi d’insister sur cette dernière condition…



source: https://ecotimesdz.com/

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