Algérie: M. Mohammed Krim: «Considérer la FinTech comme un Objet Bancaire Intégré»

  • 05 avril 2023 / Analyses / 448 / Admin-23


Algérie: M. Mohammed Krim: «Considérer la FinTech comme un Objet Bancaire Intégré»

Dans cet entretien, M. Mohammed Krim, revient sur l’évolution des FinTechs à travers le monde et la diversification de leurs offres suivant la révolution numérique. En Algérie, les start-ups FinTechs sont réclamées par de nombreux acteurs y compris de simples citoyens qui sont au fait de la progression rapide des services bancaires et financiers sous d’autres cieux. L’arrivée prochaine du dinar numérique algérien et autres dispositions prévues dans le projet de loi sur la monnaie et le crédit rassurent, plus ou moins, sur les perspectives d’avenir.

M. Krim invite toutefois à réfléchir sur le choix à opérer entre deux alternatives : considérer la FinTech comme objet bancaire non intégré ou plutôt intégré. D’après sa présentation de la problématique, il semble plutôt que le mieux est d’opter pour la seconde. Les banques seraient donc appelées à investir dans le capital des FinTech algériennes dans une logique de Corporate-Venture. Une prise de participation minoritaire effectuée par les banques dans le capital des start-up FinTech en privilégiant une vision stratégique et technologique plutôt qu’une logique purement financière.

Haut cadre de l’Etat, M. Krim Mohammed a dirigé un établissement financier spécialisé dans le leasing. Il a aussi occupé le poste de directeur Central chargé de la réalisation et la mise en œuvre du projet phare lié au Système de Paiement de Masse et de la Monétique Nationale et Internationale. Il détient un diplôme d’Etudes Supérieur Banque et une Post-Graduation Spécialisé en Management Bancaire il est également enseignant à l’école supérieur de banque.

Entretien réalisé par Hakima Laouli  

Algerieinvest : Comment appréciez-vous l’évolution des FinTechs dans le monde et leur positionnement sur les marchés financiers? Quel est exactement leur rôle ?

M. Mohamed Krim : On peut percevoir la FinTech comme l’avatar, le nouveau venant parfois envahissant, voire gênant, dans le domaine de la banque et de la finance, propulsé par la révolution numérique. Il s’agit de petites entités agiles qui sont venues concurrencer les banques sur leur terrain dans tous les domaines de l’économie, assurant une transaction de bien ou de service via un paiement électronique sécurisé, à l’instar d’Uber ou Lyft pour le service de taxi ou AIRBnB pour le service d’hôtellerie. L’équivalence algérienne de certaines start-ups internationales existe bien, tel que Coursa, Guidini, Yassir, etc., notamment à travers un service technologiquement bien assuré mais non encore complété par la couche paiement électronique adéquat.

Si nous prenons à part l’opération de paiement, les banques classiques ont rendu possible et aisé l’accès aux comptes courants, ainsi que la circulation de l’argent dématérialisé entre les agents économiques grâce au système de télé-compensation, la monétique et le E-Banking à travers les cartes bancaires, les virements et les prélèvements. Ce progrès en matière de services bancaires a nécessité des investissements colossaux à des coûts exorbitants, jusqu’à ce que cet ordre établi s’est vu vite bousculer par la montée en puissance de la FinTech qui a rajouté une couche de progrès supplémentaire dans les métiers de paiement et de gestion des comptes grâce à l’utilisation généralisé du web et du mobile.

Dans l’objectif de mieux appréhender l’impact des technologies et applications FinTech sur les services bancaires et financiers, il est intéressant d’aborder à ce stade, et sans pour autant viser l’exhaustivité, les offres de paiement d’un côté et les progrès connus en matière de financement et d’épargne de l’autre.

Pour ce qui est des offres de paiement, cette catégorie regroupe deux grandes familles, à savoir l’offre de paiement au commerce de détail, et l’offre de paiement tourné vers le client final.

Commençons par l’offre de paiement au commerce de détail

Les applications développées par les start-ups FinTech étendent leurs services, au-delà des opérations techniques basées sur le principe acquisition-acceptation, aux préoccupations centrales d’un E-Marchand liées à la transformation du visiteur sur un site web ou une application d’achat en un client acquis, grâce à la proposition de produits et services pertinents et adaptés au besoin du visiteur sur la base de l’exploitation de son historique ou son expérience web.

En plus de la personnalisation de l’expérience commerciale sur le web selon les préférences individuelles de chacun, les opérations conduites dans ce cadre constituent un moyen efficace pour lutter contre la fraude grâce au Big-Data et aux techniques de Machine Learning, qui permettent le repérage des comportements suspects de manière contextuelle et en temps réel.

Aussi, la technologie mPOS constitue une innovation de rupture grâce à l’utilisation du mobile ou de la tablette, couplé à un lecteur de cartes, comme un terminal de paiement acceptant les règlements par carte.

Et pour les offres de paiements tournés vers le client final ?

Nous enregistrons trois grandes familles d’innovation sous cette catégorie. Il s’agit des systèmes de Wallet, les réseaux de transfert de fonds et les monnaies virtuelles.

Pour ce qui est du système de Wallet, le portefeuille numérique offre la possibilité à un utilisateur de confier à un tiers, jugé de confiance, des données personnelles, qui seront stockées, en vue d’effectuer ultérieurement des ordres de paiement.

S’agissant des réseaux de transfert de fonds, les systèmes de bancarisation et d’inclusion financière s’appuyant sur le mobile comme support à travers le MPaiement représentent dans des pays émergents ou en voie de développement une véritable alternative à la bancarisation classique comme en témoignent les succès du système M-Pesa au Kenya ou d’Orange Money dans d’autres régions d’Afrique.

En ce qui concerne les monnaies virtuelles, appelées aussi cryptomonnaies, la plus connue étant le Bitcoin, la monnaie virtuelle se présente comme un moyen d’échange nouveau échappant au contrôle des banques centrales et n’ayant pas de statut légal. Elle est émise et généralement contrôlée par ses propres développeurs, tout en étant acceptée par les membres d’une communauté virtuelle.

Aux côtés des évolutions observées dans le paiement digital, les domaines du financement et de l’épargne connaissent, pour leur part, un développement important grâce à l’empire du Big Data et à l’accessibilité des calculs algorithmiques complexes facilités par le Cloud Computing. Sur ce registre, la FinTech développe ces services selon trois axes :

  • La mise en relation directe de l’épargne et du crédit avec le financement participatif (CrowdFunding). Il s’agit en termes simple de mettre directement en rapport des agents qui sont en besoins d’argent avec d’autres agents qui en disposent ;
  • La mise au point d’offres rénovées greffées sur des produits existants à l’exemple de l’affacturage mis à la portée des TPE et PME, et le crédit dans le prolongement de l’acte de paiement (Comme proposé par Amazon Landing au Royaume Uni) ;
  • Le développement de nouveaux outils de captation et de gestion de l’épargne incluant la gestion automatisée et le conseil associé, le Social Trading et la mise à disposition aux particuliers des techniques de trading algorithmique.

En Algérie, considérez-vous que le projet de loi sur la monnaie et le crédit qui prévoit, entre autres mesures, la digitalisation des services financiers, sera à même de permettre une émergence et un développement effectifs des fintechs ?

En Algérie, la loi sur la monnaie et le crédit, actuellement en phase d’examen par l’Assemblée populaire nationale, prévoit l’adoption de la monnaie numérique sous le nom de dinar numérique ou E-Dinar, qui sera développée, émise, gérée et contrôlée par la Banque d’Algérie. Il est utile de relever que la monnaie numérique se distingue dans le fond de la monnaie virtuelle en ce qu’elle est émise et contrôlée par la banque centrale et intervient en complément de la monnaie classique. Elle peut, en effet, être facilement transformée en dinars physiques dans une caisse bancaire ou lors de l’utilisation d’une carte CIB ou Edahabia (soit pour payer au moyen d’un TPE ou sur Internet, soit pour retirer des espèces d’un distributeur de billets). L’exploitation des technologies Blockchain peut s’avérer fort utile pour le développement des monnaies numériques puisque les transactions effectuées via cette monnaie s’appuient sur la cryptographie.

L’émission d’une monnaie numérique par la Banque Centrale constitue une évolution originale à même de contrecarrer l’expansion incontrôlée des crypto-monnaies dont l’anonymat des transactions favorise les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Elle offre de grandes opportunités pour promouvoir l’inclusion financière.

Il convient de relever aussi que l’émission de la monnaie numérique par la Banque Centrale pourra contribuer substantiellement à l’absorption de l’argent fiduciaire circulant en dehors du circuit bancaire. Dans ce sens, le versement d’une partie des salaires (dont le seuil serait à déterminer) en monnaie numérique, aux côtés de la partie fiduciaire, pourrait amener les ménages à se familiariser et à recourir de manière plus systématique à l’utilisation de cette monnaie. Si cette approche ne règle pas définitivement la problématique complexe de l’informel, elle participera, néanmoins, à attirer une grande partie des liquidités des ménages vers des circuits numériques contrôlés par la Banque Centrale grâce à la cryptographie.

Sur un autre plan, et s’agissant précisément des perspectives de développement des technologies FinTech en Algérie, des offres aussi riches que diversifiées pourraient être proposées dans le domaine du paiement, du financement ou encore en matière d’épargne au profit des ménages et aussi des acteurs du secteur Informel. Pour ces derniers, les transferts de fonds via le mobile paiement (M-paiement) s’avèreraient les plus appropriés en ce qu’ils permettent à l’acteur de l’informel de rester en dehors du circuit bancaire, tout en permettant, cependant, l’identification et la traçabilité des opérations par l’administration fiscale et les services habilités dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Toutefois, la Banque d’Algérie reste intransigeante quant aux transferts d’argent par mobile, exigeant le passage de ces opérations par un compte bancaire.

Vous soutenez que la considération de la Fintech en Algérie «en tant qu’objet bancaire intégré ou non intégré» doit faire l’objet d’un choix stratégique à l’effet de réussir le défi de la digitalisation dans la sphère bancaire et financière. Que cela signifie-t-il exactement ?

La FinTech qui se trouve encore à un stade embryonnaire en Algérie, nous pousse tous à réfléchir sur le choix à opérer entre deux alternatives : La première serait de considérer la FinTech comme étant un Objet Bancaire Non Intégré, comme cela a été le cas partout ailleurs, où la FinTech s’est développée loin du contrôle des banques centrales et en concurrence avec les banques commerciales.

A l’opposée, la seconde alternative serait d’estimer, dès à présent, la FinTech comme étant un Objet Bancaire Intégré. Dans ce cadre, des politiques permettant son développement aux côtés, ou au sein, des banques devraient être mises en place.

En effet, l’investissement par les banques dans le capital des start-ups FinTech algériennes dans une logique de Corporate-Venture peut constituer un des leviers de cette politique. Il s’agit, au fait, d’une prise de participation minoritaire effectuée par les banques dans le capital des start-up FinTech en privilégiant une vision stratégique et technologique plutôt qu’une logique purement financière.

Et pour ce qui est de la Bourse ? De quelle façon les FinTech pourraient-elles apporter leur contribution à sa dynamisation?

La tradition d’innovation est si ancienne et consubstantielle au quotidien du métier dans le secteur des marchés de capitaux, le concept de FinTech dans son sens récent y est moins opérant que dans la banque de détail, pour laquelle l’innovation est une véritable révolution. Nous nous arrêtons néanmoins sur les machines qui ont évidemment une influence sur la gestion de l’épargne, notamment les valeurs mobilières qui sont échangées sur les marchés de capitaux.

Ces machines ont pour objet de perfectionner le trading algorithmique. Elles tirent notamment parti des progrès technologiques dans deux domaines :

  • Le Big Data, permettant, grâce à un accès aux données en temps réel, de considérablement affiner les prévisions sur les mouvements du marché ;
  • L’intelligence artificielle et le « machine learning », qui permettent d’affiner les stratégies de trading, en minimisant l’interaction humaine.

Comme pour l’épargne, ce sont des FinTechs américaines qui dominent ce marché, l’une des plus connues étant Palantir Technologies dans le domaine du Big Data.

Ces technologies contribueront, à coup sûr, à la dynamisation de la bourse pour peu que notre économie change de dogme en passant d’une économie d’endettement, dont le financement de l’activité économique est assuré par les banques commerciales, vers une économie où le marché financier sort de son cloisonnement pour prendre part au financement des entreprises.

En votre qualité d’ancien P-DG de la BDL, quels sont les leviers d’amélioration que vous voyez utiles à même d’augmenter les financements des projets de développement de l’économie nationale ?

Dans le contexte actuel, les banque sont appelées à jouer un rôle prépondérant dans l’accompagnement du développement du pays et s’inscrire pleinement dans la stratégie du gouvernement. 

A cet égard, et dans l’objectif de permettre aux banques de jouer pleinement leur rôle d’intermédiation et d’accroître leur efficacité, il s’avère, à mon avis, crucial de concentrer les efforts sur les axes suivants :

  • Développer le marché financier pour que l’économie nationale ne soit plus exclusivement financée que par le biais du marché du crédit  
  • Inciter les banques étrangères installées en Algérie à favoriser le financement de l’entreprise algérienne, au lieu d’orienter l’essentiel de leurs activités à la réalisation des opérations de commerce extérieur
  • Baliser la montée des risques au niveau des banques par un renforcement du contrôle interne adossé à des méthodes d’évaluation de la rentabilité des opérations, surtout celles qui sont liées au crédit ;
  • Renforcer les instruments de pilotage notamment par une refonte de l’organisation et une modernisation des systèmes d’information
  • Développer le paiement en ligne, la monétique de paiement et le mobile paiement ainsi que la banque digitale pour accroître le niveau de la bancarisation et promouvoir l’inclusion financière
  • Accorder plus de rigueur dans l’évaluation et l’appréciation des crédits accordés aux opérateurs
  • Encourager l’innovation axée sur l’élargissement de la gamme de produits offerts dans l’objectif d’améliorer les rendements et collecter plus d’épargnes et de ressources, qui seront réinjectées dans l’économie
  • Améliorer le management des banques à travers l’amélioration de la connaissance de l’environnement,  la maitrise des mécanismes et instruments financiers et le contrôle des risques grâce à la mise en place et le suivi d’une politique appropriée de prévention  
  • Dynamiser la relation de la banque avec son client, particulièrement les entreprises nationales (publiques ou privées) au vu de leurs poids économiques majeur
  • Elargir le réseau d’agence pour assurer une plus grande bancarisation de la population, tout en assurant un certain équilibre selon les zones géographiques
  • Améliorer les capacités du traitement rapide des opérations et la prise en charge des besoins de la clientèle
  • Mettre en place une politique de communication axée à la fois sur le client et les objectifs quantifiés à atteindre
  • Former les collaborateurs à adopter un comportement dynamique et positif à l’endroit du client et à être mesure de veiller, en tout temps, à la rentabilité de leur banque, tout en maîtrisant parfaitement les produits et services offerts 
  • Accorder plus d’importance au service Conseil Bancaire au profit de la clientèle en assurant, là aussi, une formation adéquate au personnel dédié

Enfin, pour terminer, je dirai qu’il sera, sans doute, crucial d’encourager l’esprit de concurrence constructif entre les banques, publiques et privées, ce qui ne manquera pas de stimuler l’innovation et le changement progressif des pratiques.



source: https://www.algerieinvest.dz/

Analyste: Mohamed krim

Mohamed krim été l'ancien directeur général de SNL (société nationale de leasing), il a ensuite été président de la commission technique statutaire d'automatisations des transactions bancaires et actu...

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